Source: NewsTank Culture
Date: 16/12/2015
Source: NewsTank Culture
Date: 16/12/2015
NEWS TANK : Entretien avec Marc Restellini :
« La stigmatisation des musées privés doit cesser » (Marc Restellini, Pinacothèque de Paris)
Paris – Publié le mercredi 16 décembre 2015 à 13 h 56 – Interview n° 58426
« Il y a une confusion générale entre la faillite, la banqueroute, la liquidation judiciaire et le redressement judiciaire. Dans le cas de la Pinacothèque de Paris, nous sommes face à un redressement judiciaire que j’ai moi-même demandé, non pas pour fermer le musée mais, au contraire, pour le restructurer et lui donner une nouvelle impulsion. Le prix de nos deux loyers à Madeleine, à savoir 3,4 millions d’euros annuels, mettait la société en péril. Nous allons garder la P2 “Les collections” et ouvrir un nouvel espace dans un autre quartier de la capitale en 2018 », déclare Marc Restellini, président-fondateur de la Pinacothèque de Paris, à News Tank le 16/12/2015.« En parallèle, nous souhaitons développer la présence de la marque à l’international, en vendant des licences de nom accompagnées de contenu estampillé “Pinacothèque de Paris”. Nous sommes déjà en contact avec plusieurs opérateurs dans la péninsule arabique, en Asie et en Europe. Si tout se passe bien, il y aura entre quatre et six nouvelles Pinacothèques de Paris dans le monde en 2020. La vente de ces licences nous permettra d’augmenter sensiblement nos recettes », indique Marc Restellini.
« En France, le privé est accepté absolument pour tout sauf pour la culture patrimoniale. Les opérateurs publics et privés, même s’ils remplissent tous deux une mission d’intérêt général, ne sont pas sur un pied d’égalité. L’État nous prend 10 % de TVA sur le prix du ticket d’entrée et nous ne bénéficions pas des garanties d’État pour les assurances. Cette stigmatisation du privé et cette concurrence déloyale avec le public doit cesser », conclut le président de la Pinacothèque.
Raisons de la mise en redressement judiciaire, projets de restructuration, fréquentation de la Pinacothèque et des musées en France, politiques face au tourisme, réponse aux critiques sur le contenu des expositions et différence entre musées publics et privés, Marc Restellini répond aux questions de News Tank.
La société Art Heritage France, gestionnaire de la Pinacothèque de Paris, a été placée en redressement judiciaire le 03/11/2015. Qu’est-ce qui a conduit à cette situation ? Le musée risque-t-il de fermer ?
Nous ne pouvions plus supporter les prix de nos loyers annuels passés à 3,4 M€ en 2014 Il y a une confusion générale entre la faillite, la banqueroute, la liquidation judiciaire et le redressement judiciaire. Dans le cas de la Pinacothèque de Paris, nous sommes face à un redressement judiciaire que j’ai moi-même demandé, non pas pour fermer le musée mais, au contraire, pour le restructurer et lui donner une nouvelle impulsion. J’ai choisi cette option pour la simple et bonne raison que nous ne pouvions plus supporter le prix du loyer de nos deux espaces, situés place de la Madeleine et rue Vignon (Paris-8e). Les prix ont augmenté ces dernières années, passant de 2,3 millions d’euros annuels en 2011 à 3,4 millions depuis 2014, alors qu’au même moment notre chiffre d’affaires annuel chutait de 15 à 9 millions d’euros, notamment à la suite de la baisse de fréquentation des musées. Le redressement judiciaire me permet, sous la protection du tribunal, de rompre les contrats de baux de douze ans fermes que j’avais signés en 2007, sans payer d’indemnités. Sans cette protection, Art Heritage France aurait dû payer les quatre ans de loyers restants. C’était mettre la société en péril.
Quels sont vos projets de restructuration ?
Nous allons garder la P2 « Les collections » à Madeleine et ouvrir un nouvel espace dans un autre quartier en 2018 À Madeleine, nous allons seulement garder la P2 « Les collections », rue Vignon, qui est l’espace le plus grand et le moins cher et qui nous permet de conserver une belle vitrine en plein cœur de la capitale. J’ai aussi le projet, à l’horizon 2018, d’ouvrir un nouvel espace à Paris dans un autre quartier. Il accueillera toujours des expositions temporaires mais sur une thématique plus précise. Nous allons également, à la suite de l’ouverture de la Pinacothèque de Paris à Singapour, développer la présence de la marque à l’international. Nous souhaitons vendre des licences, à savoir le nom et du contenu estampillé Pinacothèque de Paris, à des opérateurs locaux que ceux-ci soient des gouvernements, des opérateurs culturels ou des développeurs immobiliers. Cela donnera lieu à la création d’une société différente, pour chaque nouvelle Pinacothèque de Paris, sous actionnariat ou non de notre groupe.
Aujourd’hui, nos recettes sont liées pour 60 % à la vente de billets et pour 40 % aux revenus de la boutique et de quelques manifestations événementielles. La vente de ces licences peut nous permettre d’augmenter sensiblement nos revenus. Nous sommes déjà en contact avec plusieurs opérateurs dans la péninsule arabique, en Asie et en Europe. Si tout se passe bien, il y aura entre quatre et six nouvelles Pinacothèques de Paris dans le monde en 2020. Le principe sera le même que pour la Pinacothèque de Paris et Singapour, à savoir une collection permanente et des expositions temporaires. Aujourd’hui, nos collections permanentes viennent de dépôts réalisés par une quarantaine de collectionneurs, dont certains grands noms comme la famille Kremer. Nous avons 300 pièces à Singapour et 90 œuvres sur Paris et nous n’avons même pas la place de toutes les exposer d’où l’idée de créer de nouveaux espaces.
La fréquentation de la Pinacothèque de Paris a baissé de 20 à 25 % depuis 2013. Comment expliquez-vous ces chiffres ?En effet, depuis deux ans nous constatons tous une baisse de la fréquentation. Pour nous, à titre d’exemple, l’exposition Le mythe de Cléopâtre du 10/04 au 07/09/2014 n’a comptabilisé que 150 000 visiteurs, Le Pressionisme du 12/03 au 18/10/2015 a totalisé 160 000 entrées. Même l’exposition Au temps de Klimt, la Sécession à Vienne du 12/02 au 21/06/2015, qui a été un succès, fut pourtant une relative déception puisqu’elle n’a enregistré que 400 000 visiteurs alors que nous en attendions 600 000. Nous sommes loin des grands succès enregistrés jusqu’en 2012/2013 comme la double exposition Hiroshige, l’art du voyage / Van Gogh, rêves du Japon du 03/10/2012 au 17/03/2013 qui avait accueilli 800 000 personnes.
Les gouvernements français successifs ont fait le choix d’un tourisme « bas de gamme » La baisse de fréquentation des musées ne concerne malheureusement pas que la Pinacothèque de Paris. C’est un problème plus large qui, à mon sens, est lié aux politiques culturelles et qui pose la question du tourisme ou plutôt de la qualité du tourisme. Il y a dix ans, les touristes qui venaient à Paris restaient entre quatre et huit jours sur place, aujourd’hui ils ne viennent que deux jours. Ils restent une heure au musée du Louvre, une heure au musée d’Orsay, une heure aux Galeries Lafayette et ils rentrent chez eux en passant par le Mont-Saint-Michel. De plus, ils ont un pouvoir d’achat réduit. Les gouvernements français successifs ont fait le choix d’un tourisme « bas de gamme », à l’opposé de celui de Londres qui privilégie les « repeaters » (déjà venus), qui fréquentent assidûment les établissements culturels et qui y dépensent de l’argent.
Le musée du Louvre s’est transformé en un merchandising shop géant, à l’opposé de sa mission de service public Ce tourisme de masse ne profite qu’à deux ou trois musées, qui par là-même se transforment en merchandising shops géants. Il n’y a qu’à voir l’horrible boutique surdimensionnée qu’ils ont installé dans la cour du musée du Louvre. Le but de ces établissements, pourtant publics, est uniquement de « faire de l’argent » et c’est paradoxal que ce soit moi, directeur d’un musée privé, qui le dise. Nous sommes face à un problème éthique. Le public de la Pinacothèque de Paris est composé à 80 % de locaux, essentiellement des Franciliens, et à 20 % de touristes « haut de gamme ». Nous proposons des expositions qui misent avant tout sur un contenu de qualité, même si un groupuscule d’activistes culturels se plaît sans cesse à les critiquer, nous ne cherchons pas à tout prix à attirer n’importe quel type de public.Justement en parlant des critiques, qu’est-ce que qui, à votre avis, dérange dans le contenu de vos expositions ? Un musée privé est-il mal perçu en France ?
En France, le privé est accepté absolument pour tout sauf pour la culture patrimoniale Je pense qu’il y a énormément de jalousie car les animateurs de ces cabales sur les réseaux sociaux sont tous plus ou moins inféodés aux musées nationaux. De plus, il y a un vieux fond jacobin en France qui ne lasse pas de m’étonner, à savoir que le privé est accepté absolument pour tout sauf pour la culture patrimoniale. Le cinéma, la littérature, les théâtres, les salles de concert sont privés et personne n’y voit d’inconvénient. Par contre, être un musée privé en France est une ignominie, pire : un crime. Tout le monde a l’air d’oublier que dans les autres pays, les plus grands musées internationaux sont privés même le MoMA et le Met à New York.
Ces groupuscules s’emploient à créer de fausses polémiques, comme celles autour de l’exposition Au temps de Klimt, la Sécession à Vienne pour laquelle on m’a reproché d’avoir fait une publicité mensongère au vue du nombre d’œuvres de Gustav Klimt exposées. Pourtant, le titre était extrêmement clair, je n’ai à aucun moment prétendu qu’il s’agissait d’une « Rétrospective Klimt » puisqu’il s’agissait d’une exposition sur la Sécession. C’est le sujet qu’il m’intéressait de montrer, rien d’autre. L’exposition à ce titre surreprésentait Klimt avec 18 œuvres du maître, plus la frise Beethoven (1902), ce qui n’est quand même pas rien quand on sait que le Musée du Belvédère à Vienne n’en accueille que 25. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisque selon notre enquête de satisfaction, plus de 85 % des visiteurs ont été « enchantés » par l’exposition. Il s’agissait de faire découvrir au public la Sécession, pour la première fois en France, et je suis fier que les visiteurs aient pu découvrir cette période de l’histoire de l’art. Klimt était l’inventeur et le patron du mouvement. Y-aurait-il eu autant de monde qui serait venu voir l’exposition si l’on n’avait pas mis Klimt dans le titre ?
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ? De quelles façons pourraient-ils venir en aide à un musée privé ?Il faut que la TVA soit la même pour tous les musées, qu’ils soient privés ou publics Cette question politique est d’une grande importance car en France l’opérateur public et l’opérateur privé, même s’ils remplissent tous deux une mission d’intérêt général, ne sont pas sur un pied d’égalité. L’État nous prend 10 % de TVA sur le prix du ticket d’entrée de la Pinacothèque. Le musée du Louvre, qui fait pourtant payer une entrée à 15 euros, empoche la totalité de la somme, quand nous qui offrons pourtant un billet avec un audioguide à 13 euros, perdons une partie du bénéfice. Il me semble absolument nécessaire que la TVA soit la même pour tous les établissements culturels. Un autre exemple : nous ne bénéficions pas des garanties d’État pour les assurances. Pour l’exposition Van Gogh, rêve de Japon, qui accueillait 400 millions d’euros de valeur, nous avons dû prendre en charge 300 000 euros d’assurance. Il faut arrêter de dire qu’on se fait de l’argent, si j’avais voulu gagner de l’argent, je n’aurais pas choisi d’ouvrir un établissement culturel.
Il faut aussi que l’État se rende compte de ce que la Pinacothèque a apporté et apporte au monde muséal en France et à l’international. Depuis l’ouverture de la Pinacothèque de Paris à Singapour, nous sommes l’un des trois musées français, avec le Centre Pompidou à Malaga et bientôt Le Louvre Abu Dhabi, à avoir une vitrine à l’étranger. Nous sommes donc considérés comme l’un des fleurons de la culture française dans le monde. Nous avons aussi participé à l’évolution de la scénographie en France. Il y a dix ans, on moquait mon travail, voire on m’insultait, car j’avais osé peindre les murs en rouge au musée du Luxembourg à Paris. Aujourd’hui, vous ne trouvez aucune exposition sans un parcours marqué par la couleur. Lorsque j’ai voulu faire dialoguer les tableaux entre eux, faire des présentations transversales, on m’a accusé de « faire de la soupe ». Aujourd’hui, la Galerie du Temps au musée du Louvre-Lens utilise le même principe et tout le monde crie au miracle. Cette stigmatisation du privé et cette concurrence déloyale avec le public doit cesser.